Suite ... projet de réforme foncière
En dessous d’une vingtaine d’entités, on peut imaginer des rapports contractuels entre le niveau inférieur et le niveau supérieur. Au-delà, les rapports sont nécessairement globaux et fondés sur des règles uniformes, par exemple des critères d’éligibilité à des subventions. Or, j’avais constaté que le rapport contractuel était infiniment plus fécond que le rapport bureaucratique. A l'inverse, quand ce rapport numérique set trop faible, disons 2 ou 3 comme c'est le cas en France entre certaines régions et les départements qu'elle englobe, la compétition mimétique entre les deux niveaux est pratiquement inévitable. Confer la Corse. C’était, en germe, les réflexions que j’ai formalisées bien plus tard avec les concepts « d’obligation de résultat » et de « subsidiarité active ». Cela me conduisait à considérer que le niveau de la région était le niveau pertinent immédiatement en dessous de l’Etat et qu’il fallait ensuite découper chaque région en une vingtaine d’agglomérations ou pays de manière à constituer en France de l’ordre de 400 territoires de projets (20 fois 20). Cette idée, qui heurtait de front le monde des notables, organisé autour de la commune et du département, ne fut pas reprise à l'époque, mais elle se met en place vingt ans après, par tâtonnements successifs, sous forme de communautés de communes ou de pays.
La seconde idée concerne la fiscalité foncière. La fiscalité étant un moyen de solidarité au sein d’une communauté, il faut d’abord qu’elle soit perçue à la bonne échelle. J’étais très sensible aux impacts désastreux d’une fiscalité locale restée d’assiette communale alors que chaque commune, dans les zones agglomérées, n’accueille qu’une partie des activités et de la population. En clair, en France, les pauvres sont générateurs de dépenses et les activités économiques et commerciales génératrices de recettes. Comment s'étonner que sauf exception les communes cherchent à chasser les premiers et à attirer les secondes ? La fiscalité locale, ensuite, doit avoir un aspect de « retour sur investissement » pour la collectivité. En outre, la valeur des sols dans les zones urbaines et périurbaines ne résulte évidemment pas des caractéristiques propres de chaque terrain ou de chaque commune mais, pour l’essentiel, des effets d’agglomérations et des investissements publics qui y sont réalisés. Dès lors, rattacher l’impôt sur les sols à une assiette d’agglomération correspond à un simple principe de justice. Enfin, le problème éternel est de savoir ce que l'on doit taxer. Si un impôt trop faible sur le foncier bâti ne permet pas à la société de récupérer le résultat des investissements publics, selon un principe de justice, en sens inverse un impôt trop lourd sur les constructions peut conduire à pénaliser injustement ceux qui font l’effort d’investir. D’où les deux principes majeurs introduits dans le projet de loi sur la réforme de la fiscalité foncière : la distinction introduite dans l’impôt sur le foncier bâti entre un impôt intercommunal sur la valeur des sols urbains qui sert d'assiette aux constructions et un impôt sur les constructions elles-mêmes ; la possibilité pour des personnes modestes dont les biens prennent de la valeur sans qu’ils y puissent rien et sans que cela puisse augmenter leur capacité contributive, de reporter le paiement d’un impôt capitalisé au moment de leur succession, c'est-à-dire au moment où la valeur effective du bien peut être transformée en argent.
La troisième idée concerne le passage d’une démarche planificatrice à une démarche stratégique. J’avais pu observer les effets négatifs des grands zonages créés par les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme définis en 1967 et des plans d’occupation des sols qui en ont découlé. Ils ont la vertu de définir de façon claire la vocation de chaque zone mais l’inconvénient de ne pas se traduire en une vision physique de la ville et en une stratégie de réalisation. D’où l’idée de promouvoir des démarches de projet plutôt que des démarches de plan.
Aucune de ces trois idées ne fut véritablement reprise à l’époque. La première et la troisième ont fait leur chemin au fil des années. La réforme de la fiscalité foncière reste à venir. En attendant, malheureusement, la décentralisation a contribué à reporter la croissance urbaine sur les périphéries lointaines, selon un modèle de dispersion totalement dépendant de la voiture. Nous en paierons un jour les conséquences.