1973 - 1968

 
Chercheur au Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Aménagement Urbain (CERAU – BETUR)

 

Je suis devenu ingénieur des Ponts et Chaussées quelques années après la fusion du Ministère des Travaux Publics et du Ministère de la Construction devenus, sous la houlette d’Edgar Pisani, un seul et même Ministère de l’Equipement. La Loi d’Orientation Urbaine et Foncière vient d’être approuvée. Dans toutes les grandes villes de France, un Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme s’élabore. C’est aussi la grande période du Commissariat au Plan, de l’élaboration de programmes de modernisation et d’équipement quinquennaux orientant les investissements collectifs en France. La plupart de mes collègues prennent dès leur sortie de l’école, dans ce climat si particulier du gaullisme finissant, de l’Etat entrepreneur, de l’Etat aménageur, des responsabilités opérationnelles. A l’issue d’un voyage d’études pendant l’Ecole des Ponts et Chaussées, je me souviens avoir écrit un éditorial pour le journal de l’école qui se terminait par ces mots : cherchons maître à penser. J’ai le sentiment que mon milieu professionnel se lance à la conquête des villes tout bardé de sa rationalité d’ingénieur et mal préparé à en gérer la complexité. Pour ma part, je préfère dans l’immédiat chercher, explorer, découvrir. C’est le sens de mon détachement dans le Centre d’Etudes et de Recherches de l’Aménagement Urbain (CERAU), dirigé à l’époque par Georges Mercadal. Il se trouve à mon goût à bonne distance entre une recherche universitaire, qui n’aurait guère satisfait mon goût de l’opérationnel, et l’action administrative qui me semble mal préparée. Ma première tâche y fut d’achever le livre entrepris avec mon épouse Paulette lors de mes études d’ingénieur sur l’accueil des travailleurs étrangers en France[1]. Puis, j’ai eu à développer pour le Commissariat au Plan les outils et méthodes des Programmes de Modernisation et d’Equipement (PME). De là date mon goût pour les méthodes et outils de ce que l’on appellera plus tard l’intelligence collective. Comment faire émerger des perspectives communes de points de vue et d’intérêts différents ?

Une autre des études lourdes qui a occupé mon temps à cette période a porté sur les relations entre structures urbaines et vie de la société : j’étais avide de comprendre comment le cadre de vie, qui n’était pas seulement, selon l’expression d’Henri Lefebre, la projection dans l’espace des rapports sociaux, moulait la société dans l’espace et en orientait les comportements. L’effort pour comprendre les comportements concrets des gens mais aussi la lecture qu’ils en faisaient en fonction de leur représentation du monde m’a marqué de façon durable en accordant une grande importance d'entretiens non directifs permettant aux interlocuteurs de façonner leur discours en fonction de leur propre représentation sans être contraints d’emprunter les cadres de notre propre pensée.

A partir de 1970, commence une aventure qui a modelé très durablement ma vie professionnelle et ma pensée sur la gouvernance : l’appui à l’arrondissement de l’équipement de Valenciennes, et à son directeur de l’époque André Talmant, pour la conception du programme de modernisation et d’équipement du septième plan. Je m’approchais progressivement de l’action opérationnelle et quel meilleur initiateur qu’André à la compréhension intime du fonctionnement de l’Etat dans son rapport avec le reste de la société ? Cette expérience m’a confirmé l’importance de la maïeutique, du dialogue entre la pratique et la réflexion. Cette importance m’était apparue lorsque mon épouse Paulette était à la CIMADE, pleinement investie dans un travail concret d’accueil des travailleurs étrangers en France. Nous avions mis au point entre nous, à Paris puis à Nanterre à partir de 1969 où nous avons partagé la vie quotidienne des émigrés, une démarche de dialogue permanent pour partir des faits quotidiens et en dégager une intelligibilité d’ensemble. Une sorte de recherche action si l’on voudra utiliser un vocabulaire des sciences sociales, mais peut-être surtout une sorte d’hygiène mentale au quotidien d’allers-retours entre les faits et leur interprétation. C’est cette même attitude que nous avons rapidement adoptée avec André et c’est la source du livre « L’Etat au cœur » que nous écrirons ensemble vingt-cinq ans plus tard.

Cette première étape professionnelle de cinq ans a été interrompue par un intermède : nous sommes partis, en 1971, neuf mois en famille à Alger où j’ai dû, pour le compte du Ministère Algérien du Plan, élaborer une méthode de programmation des équipements collectifs et, en amont, un modèle de la croissance urbaine algérienne. Nouvelle et déterminante occasion pour moi d’observer la disjonction entre les théories en vogue à l’époque, celles de l’armature urbaine, avec une réalité qui ne correspondait pas au contexte dans lequel cette théorie avait pris naissance en France.


[1] Les travailleurs étrangers en France. 1969. Editions Ouvriers